Des coupures qui font mal à l’âme!
Je viens d’apprendre que le poste d’amateur de vie spirituelle et d’engagement communautaire de la Commission scolaire des Laurentides a été coupé pour l’an prochain.
«Fallait s’y attendre». C’est ce qu’on m’a répondu quand j’ai exprimé mon désarroi. C’est vrai que, depuis plus de dix ans, on sent que ce poste est dangereusement menacé par ceux qui croient qu’on doit faire des économies en éducation et porter nos efforts sur les cours de maths. Mais moi, les maths, j’haïs ça.
Hommage à Marie-Claude
L’animatrice, qui était à la Polyvalente-des-Monts, s’appelait Marie-Claude. Elle s’appelle encore comme ça, mais elle n’est plus animatrice. Marie ne reprendra jamais son poste pour des raisons de santé. Donc, on pourrait croire que je n’ai absolument aucune raison de m’indigner pour une animatrice qui n’est plus animatrice. Ce n’est pas faux. Je n’ai aucune raison de me battre pour le poste de Marie, mais j’ai une raison d’avoir peur pour les élèves et pour mes futurs enfants.
J’avais 12 ans en entrant au secondaire. J’étais handicapée, je le suis encore. Ça n’arrange pas du tout mon affaire. Je n’étais pas vraiment intimidée ou battue, mais me faire des amis n’était clairement pas ma force. Les élèves n’étaient pas vraiment méchants avec moi, mais ils ne comprenaient pas vraiment ce que la version de E.T. qui marche croche faisait dans leur école, dans la même classe qu’eux.
C’est Marie qui m’a incluse. C’est Marie qui a expliqué des centaines de fois à tout le monde que, même si j’avais l’air légèrement déficiente intellectuelle, j’étais juste une enfant qui avait manqué d’air et que m’approcher ne faisait pas mal.
C’est Marie qui m’a montré à m’impliquer. C’est avec elle que j’ai compris ce que c’était d’être une bonne personne. C’est elle qui m’a montré que, même si t’haïssais l’école, tu pouvais avoir bien du plaisir entre deux cours plates. C’est elle qui m’a convaincue que si je trouvais le monde injuste et que ça me faisait vomir, j’avais juste à lever mes fesses et à trouver une façon de changer les choses. C’est très exactement ce que j’ai fait pendant 5 ans avec Marie-Claude.
Je sais que ramasser des dons pour Opération Enfant Soleil, ce n’est pas primordial dans une école secondaire. Josée Lavigueur fait bien ça avec les adultes. Et les tournois de golf de policiers ramassent plus d’argent que nous.
Je ne suis pas très bonne au golf. Je n’ai jamais «péter des scores» au mini-putt. La seule chose que j’aimais faire au secondaire, c’était les activités parascolaires.
C’est Marie qui m’a consolée des centaines de fois parce que j’étais découragée. Je me suis tellement questionné sur ma place et sur le sens de la vie. Mes crises existentielles, je n’en parlais pas trop à mon prof de maths. Il était bien gentil, mais je me voyais mal lui raconter ça entre deux cours d’algèbre.
J’ai raconté bien des choses à Marie. Ma vie, mes amours, mes espoirs, mes peines, mes joies, mes doutes (surtout mes doutes). Il y a une chose que je n’ai jamais dite à Marie, c’est que son travail avait sauvé ma vie. Sans animatrice dans mon école, je serais morte.
C’était en secondaire 4. J’avais l’air bien joyeuse, j’avais l’air brillante, j’avais l’air d’une fille qui respirait la joie de vivre. Mais j’étais mauvaise en maths et, pour une fille qui est ne vivait que pour être médecin, voilà qui était un grave problème. Je me souviens de ce jour-là. Le jour où j’avais décidé de me tuer parce que j’étais trop stupide pour comprendre comment faire un carré parfait. Et Marie, probablement la seule assez bien formée et qui me connaissait assez pour détecter que ça allait mal finir pour moi ce soir-là, n’était pas là. Je suis donc partie à la maison avec cette idée que je me devais de mourir pour le bien de la société. J’avais 15 ans et j’ai fait une tentative de suicide.
Quand j’ai revu Marie, elle m’a demandé ce qui n’allait pas. Je n’ai pas été capable de lui dire que j’étais passée au clan des suicidaires. Alors j’ai simplement répondu que ça allait passer. J’ai été plusieurs semaines à être incapable d’aller à plus d’un ou deux cours par jour. Je finissais le reste de mes journées à pleurer dans le bureau de Marie-Claude. Elle me demandait simplement, chaque fois, ce que je pouvais faire pour aller mieux. Et on commençait ensemble un nouveau projet.
C’est finalement les centaines de projets de Marie-Claude qui m’ont sauvée. C’est finalement ses mots qui m’ont fait comprendre que j’étais quelqu’un même sans être capable de réussir un carré parfait.
En secondaire 5, en janvier 2010, j’entrais dans son bureau pour lui dire que le tremblement de terre en Haïti me perturbait beaucoup trop et que je devais faire quelque chose. On a finalement décidé de monter un spectacle pour amasser des fonds. Cette année-là, j’ai décidé que je travaillerais dans les ONG en Haïti et en Afrique et que, pour faire ça, je réussirais mes maths et j’irais à l’université.
Mon AVSEC a créé une vague d’engagement dans mon école et ma communauté. J’ai vu des dizaines de jeunes profiter de ses services et être motivés par ses projets. J’ai vu des dizaines de jeunes créer des amitiés, se questionner sur leur vie et apprendre l’altruisme en s’amusant.
Je parle de Marie-Claude parce que c’est celle qui était dans mon école, mais tous les animateurs font le même travail dans les mêmes conditions et jouent le même rôle auprès des jeunes. Chacun d’eux a des dizaines d’histoires de jeunes qu’ils ont aidés. Chacun d’eux mérite qu’on respecte son travail et qu’on se batte pour son poste.
À la Commission scolaire des Laurentides, il ne reste que trois animateurs pour 17 écoles primaires, une école de première et deuxième secondaires et trois polyvalentes. Présentement, les animateurs ont des tâches de plus en plus réduites dans les écoles, passant de 100% à 60% puis 40%. Les animateurs au primaire doivent travailler dans toutes les écoles du quartier. Ils sont donc parfois en charge de plus de 5 000 élèves. Il est donc impossible pour eux d’aider autant qu’ils le voudraient.
J’espère donc que vous comprenez que ces décisions de retirer les animateurs des écoles ont des conséquences désastreuses sur les élèves qui cherchent un sens à leur vie.
J’espère que vous comprenez aussi que les cours de maths sont importants, mais que, pour les réussir, il faut avoir au minimum la motivation de se lever le matin et d’aller s’asseoir à notre pupitre. Cette motivation, pour des centaines de jeunes, c’est le travail des animateurs qui nous la donne.
J’espère finalement que vous comprenez que la lutte au décrochage et au suicide ne passera jamais par l’algèbre. Mon histoire, c’est plus ou moins l’histoire de centaines de jeunes qui ont eu besoin, au moins une fois, d’entrer dans le bureau d’un animateur pour se sentir bien.
Demandez-vous si notre société et nos enfants peuvent se passer d’animateurs dans leurs écoles pour sauver quelques dollars. Je ne m’y connais pas en budget. Je ne sais pas combien les animateurs coûtent. Tout ce que je sais, c’est combien ils rapportent.
Je suis révoltée contre cette décision et j’espère que vous l’êtes aussi et que vous vous prononcerez contre ces coupures.
Je n’ai, à ce jour, jamais réussi un carré parfait par moi-même. Je vous le jure, même pas une fois. Mais, dans 5 ans, j’aurai un doctorat. Je serai quelque part en Haïti pour aider à construire une école parce que Marie a croisé ma route.
J’aurai des enfants et j’espère qu’ils auront un animateur eux aussi parce qu’ils en auront besoin au moins une fois. J’aurai un emploi, une vie et des enfants parce qu’une animatrice m’a empêchée de me suicider…
Élisanne Pellerin
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